PRINTEMPS ARABE, GUERRE EN LIBYE : DE LA RESPONSABILITE DE PROTEGER ?

Publié le par Stevesan

En 2005, à l’occasion de la 60ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies, naissait un nouveau principe du droit international plus précisément du droit international Humanitaire : le principe de la Responsabilité de protéger.

 

Ce principe, adopté sous le titre du « Devoir de protéger les populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité » trouve son origine dans le rapport Brahimi sur les opérations de paix.

 

Le document adopté en 2005 affirmait la responsabilité de tous les Etats et l’obligation qui leur incombe de ‘’protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique, et des crimes contre l’humanité’’.

 

A l’époque, l’idée était de donner aux Etats un canevas juridique d’intervention sans que ne soit évoqué contre eux le sacro saint principe de souveraineté. Toutefois, et il est important de le souligner, il s’agissait non pas d’une intervention qui viendrait aggraver les peines des populations que l’on voudrait protéger mais, d’une intervention strictement humanitaire. Aussi les tenants du principe de la Responsabilité de protéger prévoyaient dans le texte de 2005, et seulement dans le cas d’une nécessité avérée, la mise en œuvre ‘’ de moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens pacifiques appropriés’’.

 

Comme toujours, les grandes puissances ont réussi à tordre le coup à l’esprit de ce concept nouveau et à l’instrumentaliser au point de le mettre désormais au service de leur désir d’hégémonie.

 

 

Elle a été mise en avant lors de l’intervention unilatérale de George W. Bush en Irak et aujourd’hui encore, elle est évoquée par Sarkozy pour justifier l’intervention de l’OTAN, orchestrée en grande pompe par la diplomatie française en Libye.

 

Bien avant le conflit libyen, les mémoires fraîches se souviendront que la France, dans son désir désormais avoué d’hégémonie et dans son désarroi du lendemain des indépendances qui voyait son emprise sur ses ex colonies s’effriter, demeure pionnière de cette politique de l’ingérence flagrante dans les affaires internes des autres Etats notamment africains.

 

De toute évidence, Aussi prudente qu’elle soit, elle fait justifier chacune de ses actions par un endossement juridique ou une légitimité de la communauté internationale et quand le texte n’existe pas, il faut pouvoir le créer. Il suffit pour s’en rendre compte de remonter aux années 1987. Le principe de la Responsabilité de protéger, consacré en 2005 existait déjà.

 

A l’époque, en effet, Bernard Kouchner, pour justifier son idée, partagée avec le Professeur Mario Bettati, du devoir d’ingérence estimait que les Etats devraient pouvoir intervenir ‘’ quand un Gouvernement n’est pas à même de protéger sa population’’. Dans ces cas là disait-il ‘’ ce sont les victimes qu’il faut écouter et non les dictateurs qui croient représenter les victimes’’.

 

Il est tout à fait claire que tous ces principes qui se réclament de l’humanitaire n’ont d’ambition que d’éviter la souffrance de nombreuses populations de part le monde. Mais, la pratique, depuis l’aube des temps a également et malheureusement démontré qu’ils n’ont jamais été appliqués selon les règles de l’art au point de faire désormais de l’humanitaire l’argument de façade le plus prisé par les politiques impérialistes et hégémonistes des grandes puissances de ce monde.

 

 

 

 

 

 

La responsabilité de Protéger au regard du printemps arabe

 

Dès les débuts du bouleversement sociopolitique au Maghreb, les grandes puissances se sont empressées de marquer leurs distances vis-à-vis des anciens dirigeants Egyptien et Tunisien qui, dans un passé très récent étaient encore leurs interlocuteurs sinon leurs alliés sur de nombreux dossiers internationaux.

 

Avant donc le début du printemps arabe, toutes ces puissances ne connaissaient apparemment pas aux ex-dirigeants de cette région les qualités négativistes de dictateurs, de détourneurs de deniers publics, de criminels… dont ils sont accusés aujourd’hui.

 

Tout compte fait, la révolution fut lancée et l’occasion était trop belle pour ne pas la saisir.

 

Si en Egypte et en Tunisie elle pu se réaliser sans trop grande difficulté, tel ne fut pas le cas en Libye ou Kadhafi, l’ennemi africain numéro 1 des occidentaux avait une assise encore plus forte au sein de sa population car, en effet, si les révolutions égyptienne et tunisienne tirent leurs causes d’une grogne sociale, le conflit libyen repose lui beaucoup plus sur un simple acte de rébellion d’une frange de la population contre un régime qui a longtemps régné.

 

Les causes sont donc différentes et ceci explique que l’Egypte et la Tunisie n’aient pas connu de confrontations violentes axées sur la rivalité entre deux camps armés et prenant en étaux les populations entre les feux de la barbarie.

 

Le cas de la Libye tient donc d’un schéma concret de conflit armé interne auquel s’appliquent les dispositions du protocole II de 1977, additionnel aux Conventions de Vienne de 1949.

 

Interne, ce conflit l’était depuis le 17 février 2011, date à laquelle fut lancé l’appel au soulèvement en Libye jusqu’au 19 mars 2011 lorsqu’avec les toutes premières frappes de l’OTAN, il a acquis les qualificatifs du concept de conflit interne internationalisé, passant ainsi sous la législation de la 3ème Convention de Vienne. C’est dire que dans tous les cas de figure, le Droit International Humanitaire est applicable

 

Mais il faut noter que tout au long du déroulement de ce conflit, deux principes internationaux aux interprétations et aux effets contradictoires, se justifiant toutefois, ont été avancés par le régime libyen d’une part et par les occidentaux d’autre part : le Principe de la souveraineté et celui de la Responsabilité de protéger.

 

Dans cette bataille à coup de principes internationaux, raison pouvait être donnée à chacune des parties qui, dans le même temps et, dans l’application même de ces principes ont largement fait montre d’actions uniquement guidées par des intérêts politiques et non sécuritaires et encore moins humanitaires.

 

La sacro-sainte souveraineté de l’Etat Libyen et son contrepoids, la Responsabilité de protéger.

 

Un État souverain est habilité en droit international à exercer une compétence exclusive et totale à l'intérieur des frontières de son territoire. Les autres États ont l'obligation correspondante de ne pas intervenir dans les affaires intérieures d'un État souverain. Si cette obligation est violée, l'État victime a en plus le droit de défendre son intégrité territoriale et son indépendance politique.

 

Dans la plénitude de l’exercice de sa souveraineté, l’Etat à l’obligation de protéger ses nationaux aussi bien sur son territoire qu’à l’extérieur même de ses territoires. Cette responsabilité découlant du principe même de la souveraineté imposait déjà une intervention de l’Etat au-delà même de ses frontières tant que la sécurité de ses nationaux est menacée. Mais, cette obligation n’autorisait pas l’Etat en question de s’ingérer dans le déroulement interne d’un conflit en prenant positions ou en participant activement ou tacitement au conflit. Jusque là, la souveraineté n’était pas violée tant que les actions menées sur le terrain ne se limitaient qu’à la stricte protection des ressortissants de l’Etat intervenant.

 

Ce n’est qu’en 2005, la consécration de la Responsabilité de protéger que le principe de la souveraineté s’est véritablement vue ébranlée. Mais, il convient de le souligner, la pratique des Etats avait déjà établi de nombreux précédent.

 

 

 

 

L’acte de 2005 n’a donc constitué qu’en une formalisation d’un préétabli dans les relations internationales. Désormais, un Etat souverain pouvait intervenir sur le territoire d’un autre Etat souverain sur la base de ce principe, non pas forcement pour protéger ses nationaux mais aussi, pour apporter sa protection et son assistance humanitaire aux populations de l’Etat dont on estime les populations en dangers.

 

En Libye donc, le principe de la souveraineté à vite fait de voler en éclats devant la détermination des grandes puissances de donner plus d’effet à son contrepoids de toujours, le devoir d’ingérence qui au fil des ans a acquis le qualificatif de Responsabilité de protéger.

 

Au nom de ce principe, les forces de l’OTAN ont bombardé, jours et nuits les positions du régime libyen, facilitant ainsi la progression des rebelles.

 

Cette intervention, si elle a porté des fruits, ne laisse pas sans interrogations et poussent à se poser de multiples questions.

 

En effet, l’histoire a voulu que dans le déroulement du printemps arabe, l’on se trouva en face de deux situations presque similaires mais dont la gestion nous laisse un goût d’inachevé et conforte de plus en plus la thèse d’un principe de la Responsabilité de protéger politisé et intéressé.

 

Ainsi, on se rend de plus en plus compte que, même dans l’humanitaire l’idée répandue selon laquelle les Etats n’auraient pas d’amis mais seulement des intérêts est la règle d’or.

 

La première raison de la Guerre contre le régime libyen ne serait donc pas véritablement l’obligation internationale et morale de protéger les libyens. Sinon, comment peut-on comprendre l’inaction de la communauté internationale devant le massacre chaque jour aberrant des populations syriennes et leur fougue presque incompréhensible contre le régime libyen ?

 

 

 

 

Les syriens auraient-ils moins de raisons d’être protégés que ne l’auraient les libyens ?

 

La communauté internationale n’a, sans aucun doute que trop démontré une fois encore, que le principe de la responsabilité de protéger couve en réalité sous des enjeux qui vont au-delà de l’humanitaire.

 

En effet, en comparant les situations libyennes et syriennes, l’on se rend compte que l’urgence humanitaire et la responsabilité de protéger se faisait plus exigeante en Syrie - ou le régime réprime des populations civiles sans défense - qu’en Lybie ou le régime était confronté à une rébellion et donc faisait face à des insurgés armés.

 

Si dans les deux cas, l’on peut se permettre d’admettre que l’intervention humanitaire avait sa place, pour les grandes puissances, les enjeux n’étaient pas les mêmes et, pour eux, seuls les enjeux et au-delà, les intérêts réels à en tirer déterminent l’intervention.

 

Ce conflit, une fois de plus a mis à nu la réalité d’une incapacité plusieurs fois affirmée de l’Union Africaine quant à la gestion des crises africaines par les africains eux-mêmes et surtout dans l’intérêt premier des peuples d’Afrique.

 

Pour sa part, de la Libye à la Syrie, l’ONU vient encore une fois de démontrer qu’elle n’est qu’une boîte à la solde des grandes puissances de ce monde et où les plus petits se noient chaque jour d’avantages.

 

Steve A.D. AKLESSO BODJONA

 

 

RAPPORT BRAHIMI: Du nom de son Président, ancien envoyé spécial du Secrétaire général en Afghanistan, (Lakhdar Brahimi) ou « Groupe d’étude sur les opérations de paix de l’ONU », le Panel Brahimi a été créé en mars 2000 par le Secrétaire général afin de faire des recommandations pour améliorer la pratique de l’ONU dans le domaine du maintien de la paix.

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A
Totalement d'accord avec vous Steev. Ce principe de R2P en dépit de son angélisme et de son utilité pratique face à l'obstacle qu'oppose le principe légendaire de la souveraineté au secours des<br /> populations désespérées, il fait penser dans sa mises en œuvre à un nouveau gadget au service d'ambitions impérialistes mises en échec après le second conflit mondial
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